Un diamant dans son écrin et un petit homme aux mains caverneuses.

Une histoire, une nouvelle, que je vous propose de découvrir.

Bonne lecture!


Où suis-je ? Que sont ces têtes penchées sur mon cœur, ces yeux curieux et ces lèvres dévorantes ? Qu’ont-ils fait de celui qui, le premier, a posé ses mains sur mes courbes éclairées ? Me voilà piégée entre ses quatre murs dans cet écrin soigné et si peu familier.

L’obscurité me manque. Où sont passées les ombres poussiéreuses de cette blanche terre qui m’a vu naître ? Où sont ces grains malicieux qui se glissaient entre mes reins et chatouillaient mon cœur ?

On dit de moi que je suis l’indomptable, l’inflexible. Comment ont-ils pu me changer ? A présent, je suis aussi docile qu’un vieux caillou posé sur le bord d’un chemin. Guettant en silence le moindre espoir de recroiser la route de celui qui m’a tant aimée, de celui qui m’a trouvée.

Je repense à ses mains fatiguées, usées et pourtant si douces. Dans ma mémoire, je me nourris encore de ses mains minérales.

La première fois où son corps a foulé ma terre, c’était un jour comme les autres. Rien ne laissait présager que nos destins seraient liés. Ses premiers pas étaient maladroits et résonnaient dans les méandres de cette galerie au retour incertain.

Guidé par le seul espoir de me trouver un jour, il avançait, les yeux mouillés par le rêve. Ses mains, oh comme elles sont belles, je me souviens, ses mains suintaient déjà de douleur.

Mais, dehors, on raconte qu’elles vivaient un tout autre destin. Musiciennes, elles claquaient gaiement sur des cordes raides et lançaient dans les airs des sons libres et enchanteurs. Moi, le fruit des étoiles, aurais tant aimé me nourrir de ses notes divines et danser, danser avec lui pour l’éternité.

Mais, ici-bas, je n’étais pas celle qui ouvrait le bal. Tel un chef d’orchestre, les pioches et les marteaux, muses métalliques au bavardage incessant, donnaient le ton et imposaient leur rythme. Je les ai tant de fois détestés. Et pourtant, ce sont eux qui, un jour, ont creusé au hasard et ont fait de lui, celui qui m’a trouvée.

Jadis, pleine de force, je brillais tel un charbon ardent et me chuchotais gaiement :

« un jour, il me trouvera. Dans mon palais de pierres, il sera mon empereur et jamais je ne baisserai la garde ».

A l’affut, j’attendais nos épousailles sacrées. Méritais-je cette âme pure ? Cette mine de gaillard usée par le dur labeur ? Dans ma cape terreuse et rugueuse, j’aurais tant aimé l’inviter à découvrir les beautés de mes aïeux. Car dans ses gouffres éternels où je grandis scintillent les plus précieux reflets des Dieux. Oh comme je l’aimais. Moi, l’inflexible, aurait courbé la tête mille et une fois pour prouver mon amour.

Lui, rien ne pouvait le briser. Son dos courbé par l’effort savait qu’un jour il pourrait se relever fièrement. Alors, il serait droit et, suspendu aux lèvres de la quête, il attendrait sa récompense. Son œil affamé, je l’ai vu tant de fois espérer.

Puis, un jour, son regard s’est illuminé. Il venait de saisir ma beauté, il venait de me trouver. Figée depuis des milliers d’années, en un instant, je me sentis légère comme le vent, libre comme le scintillement d’une étoile. Le dieu aux mains caverneuses venait de creuser mon cœur au plus profond de son âme.

La mort me guettait depuis tant d’années. Sombre et rugueuse, j’attendais, j’attendais sagement de mourir. Mais en silence, j’espérais timidement cet instant furtif, cette renaissance.

Le jour où ses mains m’ont atteinte, j’ai senti le battement de ses veines agitées, j’ai goûté à sa force, j’ai compris ce que vivre signifiait. Forgée dans le roc, indestructible, je me sentais pourtant si fragile face à cette puissance inattendue.

A présent, je meurs de désespoir depuis qu’il m’a quittée. Tant de mains m’ont touchée et taillée pour me sceller à jamais dans cet anneau doré.

Pourquoi m’a-t-il abandonnée ? Je me souviens de sa main hésitante songeant un instant à me glisser dans sa bouche assoiffée. Cachée entre les murmures apeurés de mon amant, j’aurai attendue sagement. Devant son tyran au terrible fouet, il n’aurait dit mot et aurait rejoint la terre du dessus, celle où ses mains dansent avec les étoiles. Et là, d’un geste tremblant, il m’aurait glissée dans sa main et m’aurait chanté : « Tu es à moi ! »

Mais la peur de mourir était plus forte que la promesse d’un rêve interdit. Alors, d’un geste simple et noble, il me donna à son bourreau.

Pourquoi ? on raconte que là-haut, dans son monde, d’autres diamants l’attendaient. Deux petits cailloux au cœur pur, nés de ses entrailles et qui dans son cœur, brillent plus que moi.

En me gardant, il aurait pu briser ses chaines mais il décida de m’échanger contre la liberté des siens.

Je suis devenue son espoir. Celui de ne jamais voir ses enfants fouler le sol de ma terre pour y creuser éternellement. Moi, diamant, simple pierre devenue précieuse, je ne suis rien face à ses petits cailloux devenus joyaux et libres.

On dit de moi que je suis la plus pure, la plus rare ? De nous deux, il est la pierre la plus précieuse que la terre ait vu naître.

La véritable richesse n’est pas de me posséder mais de m’abandonner pour gagner sa liberté.

L’éclat tant convoité que vous admirez en moi n’est pas le mien. Il est celui de ces mains abîmées, écorchées, habiles et chanceuses qui se sont penchées sur moi.

Aujourd’hui, j’attends, seule, dans cet écrin de soie. Cette prison dorée est une juste pénitence. Ma beauté a souillé tant de mains. Je saigne de tous mes éclats et accepte ma destinée.

FIN

Virginie Lloyd