Le somptueux silence

Chronique – Par Virginie Lloyd

Dès les premières lignes de Seul le silence, j’ai senti se confesser l’humanité tout entière. J’ai senti les mots murmurer des souvenirs fracturés, fragiles et envoûtants. Ceux de Joseph Calvin Vaughan.

***

Joseph a grandi dans un territoire cerné par une enfance fauchée et par l’ombre fantomatique des souvenirs. Il y a les bois, les routes à n’en plus finir, les paquets planqués sous un caillou, l’écho de cette guerre qui sévit en Europe, les pick-ups et leurs chargements, les non-dits et puis ces meurtres. Ceux de petites filles.

« Mes pensées étaient éparpillées comme de petits éclats de céramique ».

Dans cette atmosphère troublante, communautaire et familiale, Joseph tente de trouver quelques brèches de bonheurs. Ce genre d’instants de grâce que l’on doit décaper à coup de couteau sous la croûte de la vie. Il y a la gentille institutrice, mademoiselle Alexandra Webber, qui n’aura de cesse d’encourager le jeune Joseph, aspirant écrivain. Il y a aussi Reilly Hawkins avec sa grosse voix et son épaule toujours là pour écouter.
Il y a ces voisins, ce cercle de fantômes et d’ombres que Joseph, le petit « pouventail », tente de comprendre. Mais Joseph, dans ses habits bien trop grands pour lui, refuse de n’être qu’un pantin, qu’un épouvantail, planté là pour effrayer le monde. Ce qu’il veut, lui, c’est protéger, c’est être un « Ange gardien ».
Les Anges, il les connaît, ils sont ces petites filles. Ces êtres qui dérangent ses nuits, ces cauchemars, cette Mort qui vient toujours par la grand-route.
Il y a ces bruits. « Le bruit des cheveux et des ongles poussant; le bruit de l’attente ».
À l’étage, il y en a d’autres. Les chuchotements d’une mère usée, aimante, au cerveau affamé de souvenirs, de bonheurs, mais pompé par l’oubli et le murmure de la culpabilité.
Et il y a le bruit des corps.

« Et les jours dont je me souviens sont partis ».

Joseph grandit. Il y a cette envie de fuir, de quitter cette brumeuse et orgueilleuse Géorgie.
Joseph rêve. Devenir écrivain.
D’abord avec quelques mots tracés par un timide et silencieux crayon à papier. Puis, sous les touches meurtrières d’une machine à écrire. Les histoires et les personnages prennent vie. Où se trouve la frontière entre fiction et réalité ?

« Conrad Moody écrivait sur ces murs, et ils écoutaient. Ils entendaient tout ce qu’il voulait dire. »

Il y a aussi les caresses de l’amour charnel — « L’humidité de ses lèvres, le fantôme de ses doigts »— mais il y a le souvenir indomptable de ces corps découpés et qui ne le quitte jamais.

« elle a envahi ma solitude et m’a fait croire que je pouvais vivre à nouveau ».

Comment vivre ? Oui ! Comment vivre en paix lorsque l’on dort, se lève et dîne avec le souvenir des morts ? Avec ce silence envahissant qui tisse sa toile comme une vieille clôture que nul ne peut franchir.
Et qui est cet homme qui se meurt dans cette chambre d’hôtel ?

« J’espère qu’il y a un monde meilleur pour moi. Un monde pire pour lui ».

***

Dans ce récit qui percute le passé et le présent avec un silence explosif, R. J. Ellory a ce talent fou de nous plonger dans l’intime obscurité des cerveaux. Tourner une page de Seul le silence, c’est accepter de sombrer, d’espérer, de soupçonner, d’aimer, de mourir encore et encore jusqu’à entendre l’ultime silence de la vérité.
Seul le silence, c’est aussi le film de l’Amérique, de cet arrière-pays où les mots sont cadrés en plongée, en contre-plongée, en plein jour, en contre-jour. L’auteur R. J. Ellory murmure « action » à ses personnages avec le son des claps des grands réalisateurs.
R. J. Ellory est à la littérature ce que Robert Zemeckis est au cinéma. Magistral, fin et humaniste.

Petit, Joseph Vaughan a écrit, « Je me demandais si mon histoire serait la même une fois qu’elle arriverait là-bas ».
Plus tard, il écrira « La solitude était mon métier ».
Dans les dernières pages de sa vie, quels mots nous confiera-t-il ?

Je vous laisse découvrir cette histoire. Une double voix. Un somptueux silence, celui de Joseph Calvin Vaughan et de R. J. Ellory.
Belle lecture à vous, les amis.

-Virginie Lloyd-

Photo ©R. J. Ellory