Hier, 18h55 – Pins Justaret.

J’entre dans la médiathèque. A droite, l’équipe m’adresse un chaleureux sourire. A gauche, une table rectangulaire où trônent les ouvrages de R. J. Ellory.
Vendetta, Les Anonymes, Seul le silence…  Oui, c’est vrai que c’est silencieux ici. Dans les bibliothèques faut murmurer alors mon cœur me murmure « merde ! quel bouquin choisir pour découvrir cet auteur ? » et me suggère de demander conseil à l’équipe. Bam ! Seul le silence sera l’heureux élu ! Merci !

Mais au fait, où est l’élu de la soirée ? Je scrute les lieux, l’auteur n’est pas arrivé ? Méfiez-vous des mecs qui écrivent des thrillers, ils sont toujours planqués quelque part. Roger (oui, je sais, j’aime bien appeler les auteurs que je ne connais pas par leur prénom), Roger, donc, est posé tranquille contre un mur. La tête baissée dans un bouquin. Il veut nous éviter, il a l’air de s’emmerder ou quoi ? Un peu comme le pauvre invité au mariage de la vieille tante Gilda qui se demande ce qu’il fout là.
Eh oh, Roger ! Y a 30 minutes à peine, j’étais à table avec mes gosses. J’ai sacrifié leur repas pour toi en leur préparant vite fait une pizza surgelée au goût de chiottes !
– Je dois aller voir un super auteur anglais ! Mangez vite les enfants !
– Good !
– Good ? L’auteur ou la pizza ?
– Rhfugu ghtr frdsch ! Hic !

Je ne saurai jamais ! Bref, retour dans le hall de la médiathèque. Ellory est toujours en train de nous narguer avec ce super bouquin qui l’absorbe. Une lectrice s’approche, lui lance deux mots en français, Roger crie « Translation please ! »
What ? Pensais-je dans ma tête. Oui, je ne parle pas bien English mais je pense British des fois.
Oui, what ? Même pas un bonjour, un sourire, une main tendue ? Mouais, ce gars m’intrigue.
Je l’observe du haut de mon perchoir, au premier étage de la médiathèque. Super endroit, je suis fan. Pourquoi suis-je montée là-haut ? Je revois cette scène du Cercle des Poètes disparus où Robin Williams lance:

« Nous devons constamment voir les choses différemment ».

Oui, Ellory m’intrigue. J’ai besoin de le voir sous un second angle.
La rencontre va commencer, il faut s’installer. Je choisis une chaise devant, comme les fayots. j’ai toujours aimé les premiers rangs. Derrière, je suis trop distraite. Je mate les cheveux qui traînent sur les épaules des gens. J’observe le bas de leur vêtement qui balaye le sol et emportera avec lui ces grains de poussière au destin incertain. Je renifle leur parfum, souvent trop prononcé en ces jours de belles rencontres. Le patchouli et le jeudi transpi chatouillent mes narines d’hyper-osmique et me voilà à dégainer mon fidèle mouchoir. La goutte au nez, je serai obligée de me moucher comme une malade mais nous avons un invité britannique ce soir, un peu de bienséance tout de même. Donc, me voilà au premier rang, ça vaut mieux. Roger est à deux mètres de moi. De profil. Oui, il ne quitte pas du regard son traducteur.
– Eh, oh ! Et nous !
Serais-je jalouse ? Dans le regard du « translator », il y a ce feu magique. Cette étincelle du bonheur d’être là. Il a bien raison. Je sens la flamme. Roger Ellory ne nous regarde pas (encore) mais il nous parle. Et petit à petit, je me laisse bercer par le flot de ses paroles. Comme un sachet de Earl-Grey à l’heure du thé. Happy tea time !

Il n’y a pas de choix pour les gens qui ont une vocation. Ils ne peuvent pas résister !

M. Ellory nous parle de son enfance. Blindé, le gamin. Son histoire commence comme dans un thriller. Ses doigts sont entrelacés, ses pieds croisés, le dos bien droit, le cul posé sur le devant du fauteuil. Il a l’allure d’un gosse qui veut bien se tenir. Qui veut faire plaisir. Qui veut être sage. Ses yeux croisent rarement ceux des lecteurs dans la salle. Son regard timide vagabonde et étrangement, on ne se sens pas perdus. On entend ses mots portés par cette voix sûre, forte et chaleureuse.

Roger Ellory s’ouvre enfin à nous. Il nous conte son enfance, sa passion pour la peinture, la musique… et nous parle de cette rencontre qui l’a bouleversé, un jour. C’était en novembre 77.
Une personne lisait un bouquin. Absorbée par le récit, tout aurait pu arriver et rien n’aurait pu la sortir de sa lecture.  Et là, c’est le déclic pour Roger Jon Ellory. Du haut de ses 22 ans, il clame haut et fort :

« Je veux devenir écrivain et écrire des livres qui créent cette passion ! »

Le soir même, il dégaine son stylo et commence son premier livre. A la main, à l’ancienne.
Quinze ans plus tard, six mille refus, douze mille £ de frais de correspondance et en 1993, il dit « Stop ! »
Et puis, enfin, en 2003, il sort de sa chrysalide et Papillon de nuit trouve ses lecteurs !
Une éternité pour cet auteur British qui ose écrire sur l’Amérique. Eh bien, tant mieux, Roger ! Te voilà libre ! Libre de voyager dans cette contrée que tu aimes romancer, massacrer, honorer ! Tes personnages voyagent comme toi, entre la sage Angleterre et la terrible Amérique.

Too much cake !

Pour Ellory, les Etats-unis, c’est comme une histoire d’amour qui se dit « Je t’aime. Moi non plus ».
« L’Amérique me fascine mais je ne pourrais pas y vivre. Elle est comme un adolescent psychotique sous traitement » et de rajouter « c’est un peu comme si on se gavait de gâteau, on peut frôler l’indigestion… too much America, too much cake ! »
Cet auteur me plait de plus en plus. Il m’ouvre l’appétit. D’autant plus que je n’ai rien avalé avant de venir, j’allais tout de même pas me gaver de pizza surgelée. What !

Et me voilà affamée, je veux tout savoir de lui. Comment il écrit, où il trouve son inspiration, comment fonctionne son cerveau d’écrivain ?
Et je trouve les réponses. Il se confie à nous, comme une lettre ouverte, comme un sachet de thé anglais qui diffuse dans nos ventres de lecteurs assoiffés, son doux arôme de bonheur.  Happy tea time !

Quelque chose l’attire, l’inspire ?  Il y est, il absorbe sur place le maximum d’émotions, comme un chien reniflant son os, sa victime, son chemin… puis il quitte les lieux, le cœur en voyage, le sac de vagabond sur l’épaule. Et ensuite, il écrit…écrit, écrit, encore et encore.

Trois règles mais pas de structure

« Lorsque je commence un livre, je me pose trois questions. Il y a trois consignes à suivre, coûte que coûte. »
1 – Être obsédé par l’idée.
« Une fois que j’ai  une idée d’intrigue en tête, elle ne me quitte plus. Elle m’obsède, elle est comme un fantôme. J’aime me faire posséder par ce genre de fantôme« .
2 – Où et quand ?
« Je dois d’abord situer l’histoire.  Des vacances à Boston ou à Las Vegas, ça n’a rien à voir. C’est pareil pour une histoire. Une intrigue dans les années 30 ou contemporaine, ça change tout. »
3 –  Émotions.
« Quelles émotions je vais donner aux lecteurs ? Peur, espoir, suspense…tout est dans l’émotion ! Je veux que le lecteur vive mon texte comme si les personnages existaient vraiment. »

Puis, « j’écris tous les jours, non-stop, sans relire ce que j’écris la veille. Quand je termine mon livre, je laisse passer deux à trois semaines, puis je le relis d’une traite ! Et je corrige. »  
« Je n’ai pas de plan, j’écris à l’instinct. Comment je sais si j’ai fini ? Lorsque je pense déjà au roman suivant, c’est qu’il faut que je termine celui que j’écris. »

Driven by emotions !

Des émotions, j’en ai eu plein la tête, les yeux, le cœur ! Moi qui croyais que j’avais affaire à un bad boy, me voilà conquise par cet auteur amoureux des mots, des émotions fortes, des échanges, des vrais échanges comme on les aime ici.
Oui, parce que pour Ellory, les français ont ce petit truc en plus qui fait qu’on les apprécie. Ce petit truc en plus ? Ce don, je cite, « de créer du temps en plus pour des choses qui n’en ont pas. »
Oui Roger, nous les Français, nous aimons prendre le temps. Et particulièrement ici, dans le Sud, avec notre fameux « quart d’heure toulousain ».
Nous avons parlé musique, adaptation cinématographique (Douze épisodes de Vendetta en français à venir sur Netflix, yes !), plaisir de lire (Monsieur s’est installé un bureau chez lui entouré de près de 3 000 livres, la classe !)… et nous avons parlé émotions. Encore ? Eh oui, ça n’arrête pas chez lui !

Ellory aime prendre son temps. Il lève les yeux au ciel, tortille ses doigts, remet en place ses cheveux avant de prendre la parole. Quelques mots en français s’échappent de sa bouche et son accent anglais donne une autre couleur à notre langue française qu’il aime tant. Il nous dit qu’il regrette que les grands auteurs français qu’il affectionne tant ne soient pas traduits en anglais. Dis-le haut et fort Roger, explose les portes des Editeurs, toi le British au sang chaud qui n’a peur de rien, et dis-leur qu’il faut traduire les beaux mots français en délices britanniques !  Mais attention, pas n’importe comment, car comme tu le dis si bien, « la traduction est très difficile, un texte peut perdre son éclat s’il est mal traduit. La traduction est un art. »

Et dans mon coeur de jeune auteure, en ce doux soir d’octobre 2018, mes émotions ont été traduites en plusieurs langues. Celle du bonheur d’être là devant un grand écrivain, généreux et énigmatique. Celle du partage. Celle de la franche rigolade. Celle de l’étonnement. Oui, je fus étonnée et je ne m’en remets pas encore. Moi qui avais regardé de travers cet invité qui ne salue pas ses hôtes quand ils arrivent, tellement absorbé par sa lecture. Et puis, j’ai compris. Il écoutait juste le silence des mots.

« Les Français regardent toujours deux fois. La première fois, oui, ils voient. Puis la deuxième fois, ils regardent parce qu’ils veulent comprendre. « 

Ils nous a bien cernés le petit Anglais ! Je l’ai vu, je l’ai observé, j’ai regardé tous les angles de ses gestes, de ses mots, de ses regards, de ses sourires et j’ai trouvé le vrai R. J. Ellory. L’indépendant, l’infatigable et l’éternel optimiste. Car oui, même si Ellory écrit des thrillers de folie et te donne l’impression qu’il va te bouffer les tripes et te secouer comme une jelly sanguinolente et bien, il y a du bonheur là-dessous.
Si l’on creuse plus loin, à la petite cuillère – avec le petit doigt levé, n’est-ce-pas – eh bien, on y trouve un homme optimiste, convaincu par la bonté humaine. « Les points sombres de l’Humanité sont si petits finalement. J’aime les gens, la vie. Et si je sombre, il me suffit de revenir en France, voilà tout ! »

Eh bien, Monsieur Roger Jon Ellory, bad boy au grand cœur de papier, restez-là et faites de notre pays, le décor de vos prochains récits. Qu’en pensez-vous ? Please ! On vous promet d’être méchants, mafieux, gangsters, paumés et un peu gentils, un peu poètes. On laissera même notre vin rouge pour votre Whisky, non, je déconne !
Thanks Mister !
Soyez heureux ! Et n’arrêtez jamais !
« Que le prodigieux spectacle continue et que tu peux y apporter ta rime. »

 

Quelques liens sympas pour découvrir l’univers de R.J. Ellory et pour remercier tout le monde :