• Virginie.Lloyd.Ecrivain
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Je vous propose de découvrir une mini-nouvelle (4min de lecture). 😉

Bonne lecture !

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Je m’appelle Agao. Comme ma cousine, ma tante, la sœur du beau-frère de mon neveu et mon arrière arrière grand-mère. Il faut dire que chez nous, on est très famille. 757 espèces, 76 genres et j’en passe. Vous imaginez les réunions de famille. A table, vous avez l’impression d’être au bord du périphérique aux heures de pointe. N’imaginez pas un instant qu’on vous passera le sel ou qu’on vous resservira du dessert. Non, ici, chacun pour soi. Je suis venue au monde parmi tant d’autres. Impossible de nous différencier. C’est comme si j’étais passé au photocopieur et que le fonctionnaire de l’état-civil s’était endormi sur le bouton “copie”. Oui, une copie.
Comment suis-je née ? Oh, comme les autres. Ma mère a déployé son abdomen et nous a déposés, moi et mes frangins, dans ce petit nid douillet qui n’attendait que nous. Notre figue natale.
Oui, une figue. Je suis une guêpe. Mais pas n’importe quelle guêpe. Une sorte de super guêpe. J’appartiens à la famille des Agaonidés. Et sans nous, aucun figuier ne pourrait voir le jour. Aucune de ses racines tortueuses ne pourraient fouler le sol humide et mousseux des forêts. Sans nous, le figuier étrangleur, comme vous aimez l’appeler vous les humains, ne pourrait déployer ses racines vers la douce et divine lumière de la canopée.

Oui, une guêpe. Une femelle. Ma destinée sera comme celle de ma mère, de ma grand-mère, de mon arrière…oui enfin, vous l’aurez compris, va falloir que je bosse comme elles. A peine pondue, me voilà à me préparer pour le grand voyage. Celui qui me portera vers ma figue élue. Je déploie mes ailes et dis adieu à mes frangins. Oui, les mâles de notre espèce sont aptères. Ils n’ont pas d’ailes. Ils ne quitteront donc jamais leur figue, leur trône, leur Q.G. il parait que chez les humains du sexe masculin, c’est pareil. Sauf qu’ils ont une télécommande pour les guider.
Les humains, il faut s’en méfier. On raconte qu’ils sont capables d’anéantir toute une famille en un instant. C’est arrivé de l’autre côté de la forêt. Là où il ne faut jamais s’aventurer. On raconte qu’une brume étrange est apparue un matin de printemps. Pas cette brume douce et limpide aux fins cristaux de glace qui vous chatouille les ailes. Non. Ce genre de brume sombre et funeste. Drapée d’une odeur de mort qui vous colle aux pattes et remonte jusque dans votre cœur. Votre pouls s’accélère et le battement intrépide de vos ailes n’est plus rien à côté de l’agonie qui s’en suit. Votre cœur va lâcher, vos ailes se figent et vous chutez. Votre regard se porte sur les branches de votre figuier que vous ne pourrez plus caresser. Vos pattes de velours chargées du pollen nourricier se fracassent sur le sol mousseux de la forêt.

Les figuiers pleurent, leurs feuilles gorgées de rosée s’inclinent comme un dernier hommage et laissent glisser sur votre corps empoisonné, une dernière goutte de bonté. Votre âme assoiffée de vie se laisse aller. Vous quittez ce monde. A vos côtés, reposent trois mille huit cent cinquante-sept victimes.
Les guêpes naissent et meurent en famille.

Ça n’a pas toujours été comme ça. Jadis, aucun bébé guêpe ne s’endormait avec des histoires pareilles. Les légendes héroïques remplaçaient ces macabres récits. Nos aïeux étaient nos héros et, à peine nés, nous voulions la même destinée.
Notre destinée. Vivre aux côtés de nos chers figuiers.
Nous sommes inséparables. Aujourd’hui, je quitte ma figue natale pour trouver celle qui accueillera en son sein, mes futurs bébés. La route sera longue. Le monde a changé.
Nos territoires s’agrandissent de jour en jour et nous devons parcourir de plus en plus de distance pour trouver nos amis les figuiers.
Nous, les guêpes, savons que nous sommes faites pour polliniser. Mais seules nos ailes connaissent le chemin.

La rosée chatouille ma tête.

Je me réveille. J’étire mes ailes et les laisse se sécher sous la douce caresse du soleil. C’est le grand jour, je pars. Je quitte mon nid pour trouver ma maison.
Je vole, mes ailes fières vibrent si fort que déjà me voilà repérée par les oiseaux du coin. Méfiance. Le guêpier rode. En plein vol, il vous happe et vous voilà à squatter son estomac, vous et pas moins d’une centaine d’autres copines malchanceuses. Décidément, nous les guêpes sommes faites pour vivre et mourir en famille.
Mais mon heure n’a pas encore sonné. Je suis bien déterminée à poursuivre ma quête.
Au cours de ma route, je croise un gland. Il se la pète avec ses ailes d’hélicoptère. Il tournoie, prend son temps avant de tomber au sol. Même s’il frime, je dois admettre que son vol est beau et gracieux. Où finira-t-il ? Dans les crocs acérés d’un sanglier ou sur le carnet d’un botaniste en herbe venu découvrir la forêt et ses étranges habitants ? Pourrira-t-il dans les sols marécageux ou mourra-t-il dans le lit sablonneux des sols arides ?
Moi, je sais où je vais. Loin d’ici. J’ai toujours eu les ailes ambitieuses. Je vole des heures et finis par faire une pause. Je m’installe sur une feuille juteuse et goûte à ses veines sucrées, promesse d’énergie. La nuit approche. Je la sens. Sa respiration électrise mes antennes. L’épais tapis de branches majestueuses voile les rayons du soleil. Je dois trouver un refuge. Ce tronc à l’épaisse écorce fera l’affaire. Sous son manteau boisé, je ne suis pas la seule. Je m’approche.
Quelle est cette plainte ? Un jeune bourgeon se meurt. Perfusé aux racines du vieux chênes, il lutte en vain contre un champignon à la peau veloutée mais tentaculaire. Il n’en fera qu’une bouchée. Planté là depuis des lustres, le dévoreur est déjà passé à table plus d’une fois. Les cicatrices creusées par son appétit incessant font pleurer l’arbre centenaire. Ses écorces ridées se transforment en un boulevard animé par la faim morbide de cet organisme unicellulaire.
Plus loin, une guirlande de fourmis s’active. Elles n’arrêtent donc jamais ? Elles et moi sommes de la même famille. De la même trempe. Rien ne nous arrête. Je les envie un peu cependant. Elles sont plus appréciées que nous. Les humains les observent et admirent leur colonie. On raconte même qu’elles font partie de programmes spatiaux et qu’elles sont la star d’un bouquin écrit par un certain Werber. Un humain qui ne ferait pas de mal à une mouche. Quoiqu’il en soit, ce n’est pas demain la veille qu’on verra une guêpe héroïne, sauvant la veuve et l’orphelin. Green Hornet, Ant Man ? Arnaque. Ils n’ont jamais posé leurs pattes dans notre monde, le vrai. Et après on se demande pourquoi on vous pique.
Mes antennes s’inquiètent. Elles ont repéré le monstre. Il est juste derrière moi. Je me retourne. Un scarabée. Mon dard ne pourra rien contre ce mastodonte. Sur sa lisse et robuste carapace, j’aperçois mon visage terrorisé.

C’est donc cela la peur ? La peur de mourir avant d’avoir accompli sa tâche.

Non ! Je refuse. Je déploie mes ailes et m’échappe.
Je m’enfonce sans le savoir vers les limites de la forêt, là où il ne faut jamais s’aventurer. Trop tard, je ne peux reculer. Une brume épaisse m’enveloppe. Je perds mes repères. Une puissante odeur saisit mon corps. Serait-ce la fin ? L’odeur s’imprègne en moi et m’épuise.
b+++
La lumière est si forte qu’elle semble transpercer mes ailes. Mes antennes ne savent plus où donner de la tête. Mais quel est donc cet univers ? Mes sens s’activent et s’affolent. Je commence à comprendre. Je suis de l’autre côté, là où on ne doit pas s’aventurer.
Le monde des humains. C’est donc ça. Je lève la tête et tente de scanner les alentours ? Soudain, mon corps tout entier se fait happer. Je vole mais n’y suis pour rien. Ma course s’arrête sur une branche. Je sens monter en moi la sensation étrange que je suis à ma place. Je m’enfonce délicieusement…dans une figue. Son sucre m’enivre, je plane, je vois même une tête de Bouddha qui me sourit.
Le figuier sacré.
Suis-je au paradis ou ais-je enfin trouvé mon fruit ?

FIN.